Le Design d’Auteur, Quésaco ?

Okoni
6 min readNov 23, 2017

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Le mot « design » recouvre un large champ sémantique puisqu’il signifie à la fois «dessein » et « dessin ». Par déformation de la langue, il renvoie désormais également à un adjectif portant sur les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et des matériaux d’un produit lui-même et/ou de son ornementation.

Au fil des années et depuis son avènement, le design s’est vu attribuer de multiples dénominations ; design graphique, design d’environnement, design de mode, design d’intérieur, design paysager, design textile, web design ou encore design d’auteur. Autant de termes spécifiants, existants autour d’une même discipline à la définition plurielle.

Bruno Saint Jalmes, designer en chef chez Airbus

“Ce que n’avaient sans doute pas prévu les théoriciens de la fonction, c’est comment cette définition somme toute restrictive du design finirait également par qualifier et restreindre le champ des objets qu’elle entendait désigner. Je m’explique : puisque le mot design sert à qualifier une manière spécifique de penser l’objet sous l’angle de sa relation forme/fonction et d’une finalité d’objet - machine, il est assez normal qu’il ait fini par évoquer, par métonymie pure, l’objet même qui en est issu. Le terme design renvoie ainsi, autant sinon plus qu’à une pratique, à un champ d’objets ayant pour point commun de répondre à une même « condition fondamentale », celle de leur « finalité».” Bruno Remaury, Docteur en sciences sociales

Mais qu’est-ce qui justifie donc différentes appellations de cette même pratique?

« Dire « c’est du design » sert ainsi par contiguïté à désigner un objet qui se réclame d’une intelligence au service d’une fonction, loin des seuls canons du décoratif et du joli. Ceci vaut pour l’équipement collectif (transports, mobilier urbain), les biens de consommation (automobile, électronique, vie domestique) mais aussi et surtout pour le mobilier : design, par catachrèse, vaut ainsi pour « objet issu du design » et sert à désigner des objets eux-mêmes ainsi qu’à positionner une partie de l’offre de produits pour la maison, d’Ikea à Capellini en passant par les Contemporaines de Roche Bobois. » Bruno Remaury

Ainsi il y a des designers que l’on dit « industriels » et des designer « auteurs ». Communément, on considère comme un « design d’auteur » un design dont la ligne de dessin renvoie indéniablement à son auteur. Autrement dit, un design exclusif et novateur portant la griffe du créatif. On peut notamment citer Philippe Starck, Norman Foster, Antonio Miró ou Antonio Citterio parmi cette catégorie de designers. Leurs univers et leurs personnalités transparaissent de manière évidente à travers leurs productions qui, ensemble, forment une collection. Faisons un parallèle avec la mode. Le design de galeries, précisément alimenté par ces designer-auteurs, peut être comparé à la haute couture, le design industriel se référant davantage à la mode au sens plus démocratique et grand public du terme.

Le design destiné à un processus industriel doit en fait s’ancrer dans la réalité structurelle et commerciale quand le design d’auteur peut s’en affranchir. Prenons un exemple : Aurélien Marty et François Bernard, User Expérience et Graphique designers chez Airbus ; ou Félicie Bajard, designer produit chez Alain Mikly, ont peu ou proue les même compétences que Jean Marc Gady, lui reconnu pour son travail d’édition. C’est néanmoins à ce dernier qu’une galerie offrira carte blanche pour que, libéré des contraintes du marché et de l’industrie, il puisse proposer un objet aux fonctionnalités sciemment sélectionnées.

Jean Marc Gady, designer auteur

« Une lampe doit éclairer, un vase accueillir une fleur, telles sont les seules obligations que nous nous imposons. » Jean Marc Gady.

Dans son livre « A quoi tient le design » publié en 2014, Pierre Damien Huygue introduit justement la notion « d’artialisation du design dans le jeu des galeries ».

« Historiquement son ambition (au design) fut un temps de réaliser de belles apparences capables de rivaliser avec celles du bel artisanat pour devenir témoignage d’un beau paraître proprement industriel. » Pierre Damien Huygue

À cette tension le design est à nouveau plus que jamais confronté aujourd’hui.

« La condition fondamentale à laquelle doit répondre un objet pour répondre au qualificatif de “beau” est de se conformer à sa finalité. » Une finalité qui non seulement prend le pas sur la forme mais comme on sait, puisque les théories du design sont loin d’être avares sur ce chapitre, est à la source même de la forme. Étendu au champ de l’objet, le mot design a ainsi fini par qualifier — et ce n’est pas le moins étrange de ses avatars — un style mobilier « historique » qui apparaît avec les fondateurs de cette notion, qu’ils soient français (Le Corbusier, Robert Mallet- Stevens, René Herbst) ou étrangers (Josef Hoffmann, Charles Mackintosh, Eileen Grey, Marcel Breuer) et se poursuit après la guerre, particulièrement avec les américains (Florence Knoll, Charles et Ray Eames), les italiens (Gio Ponti, Ettore Sottsass), les scandinaves (Poul Kjaerholm, Arne Jacobsen) mais aussi les français (Jean Prouvé, Pierre Paulin). » Olivier Assouly, Docteur en philosophie.

Mais il s’avère qu’entre temps, les champs d’application du design se sont multipliés, et ses enjeux ne sont désormais plus uniquement esthétiques mais aussi sociaux par exemple.

N’est-ce alors qu’un choix de la part du designer d’être ou ne pas être du côté purement artistique et « star » de la profession?

Selon Moholy, « la condition d’émergence du design repose sur la possibilité de choisir, à fonctionnalité égale, entre plusieurs solutions de fabrication. » D’où probablement la prolifération des méthodes et des dénominations du design. Ainsi certains designers trouvent plus gratifiante l’une des postures plutôt que d’autres, selon que leurs ambitions se dirigent vers la renommée ou l’éthique sociale par exemple.

Selon Catherine Geel,

« résoudre signifie trouver une ou des solutions sans jamais prétendre à l’exhaustivité de la réponse. (…) Plutôt que de disqualifier les acceptions établies pour en substituer de nouvelles, il s’agit surtout de montrer que le geste même qui qualifie le design rencontre des difficultés inhérentes à sa nature et plus largement au devenir de la production et de la consommation au sein des sociétés industrialisées. »

Vase Ammo, Jean Marc Gady

Pour Jean-Marc Gady, designer ayant travaillé pour de nombreuses grandes maisons comme Vuitton, Baccarat, Dyptique… puis ayant entre autres collaboré avec Ligne Roset et le VIA, « La perspective de faire de beaux projets et d’insuffler un minimum de rêve, (l)’anime. Le sujet, le cadre, importent peu, (il a) besoin d’être touché, d’embarquer dans une histoire. Mais surtout (il) doi(t) trouver un territoire d’expression. »

Comment donc définir le design d’auteur, si l’on considère que l’appellation « d’auteur » renvoie à la singularité du choix effectué par le designer dans les méthodes empruntées, et la formalisation finale?

Ainsi, on observe que l’appellation « design d’auteur » fait la part belle au dessin plus qu’au dessein, et est aussi très souvent associée à l’industrie du luxe et donc vise un public restreint et spécifique où la poésie, la préciosité, la rareté, les matières, les savoir-faire… tiennent une place toute particulière, au détriment parfois d’une éthique plus sociale.

Il n’en reste pas moins un auteur derrière chaque acte de design et plus largement, derrière chaque acte de création. Et pour poursuivre sur les termes de Catherine Geel, j’ajouterais que toute résolution d’une demande par un designer implique nécessairement une réflexion sur les enjeux, suivi de choix formels alliés à des savoir-faire. Chaque production en devient donc une affirmation de soi et donc un geste d’auteur de la part du designer. En cela, il ne faudrait jamais tendre vers une primauté de la réponse apportée ni disqualifier les acceptions plus spécifiques de la grande et riche discipline qu’est le design.

Emma, Designer chez Okoni

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Nous sommes une équipe de création multidisciplinaire. Nous prônons pour une approche du design plus humaine, plus éthique et plus proche des gens.