Le jeu, chemin d’apprentissage

Okoni
6 min readApr 7, 2019

Soulever le couvercle, compter les joueurs, ouvrir la boite, saisir les règles, les lire.

Trier les cartes, mettre en forme le plateau, poser les pions, les avancer.

Premier joueur — premier tour.

source photo : Solène Voegel

D’un seul, on passe à une communauté : le jeu rassemble. Il crée des liens, de l’intime, du partage : le jeu rapproche. Chacun son tour, à tour de rôle, le jeu est un dialogue : il ouvre le débat. On se chamaille, on discute, on élabore des stratégies pour ensuite les contrer : le jeu est une activité sociale.

Depuis quelques années, game-designers et didacticiens se questionnent de plus en plus sur l’intérêt des jeux dans la pédagogie et leur façon d’être vecteurs d’apprentissages.

Jouer, c’est se confronter à autrui, à d’autres positions, opinions ou méthodes. Jouer, c’est trouver la meilleure façon de s’adapter.

« Le jeu est sérieux, c’est le moins insignifiant des actes. Jouer, ce n’est pas rien faire et parfois c’est même travailler plus intensément que dans des situations de travail. »

(Jacque Henriot, Jeu, 1969)

Par définition, le jeu est « une activité divertissante, soumise ou non à des règles, pratiquée par les enfants de manière désintéressée et par les adultes à des fins parfois lucratives. ». Son origine (du latin « jocus », plaisanterie/amusement) lie le jeu avant tout au plaisir et à l’amusement de celui qui y joue.

Cependant, il existe des traces du lien entre jeu et éducation qui remontent bien avant le XXIème siècle. Gargantua apprenant les mathématiques avec un jeu de cartes, Rousseau et son traité Emile ou de l’éducation, qui ouvrent la voie à de nombreux autres essais de philosophes sur les éducations nouvelles, avant d’aboutir aux théories plus contemporaines, comme celles de Maria Montessori.

Ainsi, comme le souligne Gilles Brougère, professeur de sciences de l’éducation :

« la frivolité est sans doute ce qui apparaît comme le plus contradictoire avec le sérieux de l’acte éducatif. Mais le paradoxe est bien là : supprimer la frivolité, c’est prendre le risque de faire également disparaître le jeu. Le sérieux tue le jeu, mais la frivolité est ce qui permet au jeu de rejoindre dans ses effets une action éducative sérieuse, parce que l’absence de conséquences offre à un enfant un espace spécifique d’expérience. »

(Brougère, Jeu et éducation, Paris l’Harmattan, 2000, 1ere édition 1995).

Créer un espace, s’y glisser, s’y adapter et en comprendre les mécanismes. Changer de position, suivre les règles et… apprendre ?

Source photo : Solène Voegel

Le jeu permet à chacun de prendre part à une démarche d’apprentissage, de manière douce, tout en marquant les esprits. Mais si l’on veut faire du jeu un outil pédagogique, il faut faire attention à ne pas transformer l’expérience en simple exercice. En effet, pour qu’il y ait jeu, il faut aussi bien une attitude qu’une situation ludique : il n’y a pas de joueur sans jeu, pas de jeu sans joueur.

Le créateur, dieu tout puissant de l’univers et de l’expérience ludique, doit donc délimiter précisément les objectifs qu’il veut atteindre et le cadre dans lequel il va faire évoluer ses joueurs. Il doit également équilibrer l’intention pédagogique à la mécanique du jeu : l’une ne doit pas occulter l’autre ou alors l’expérience deviendra ennuyeuse et se soldera par l’abandon du joueur.

La structure du jeu, la visée pédagogique et l’attitude ludique doivent co-fonctionner. Il faut donc, en plus de définir les connaissances à apporter, s’adapter à un « joueur-modèle », à un public que l’on choisit, et délimiter la situation de jeu.

« Il faut que le jeu soit joué, mais pour qu’il soit joué, il faut d’abord qu’il soit jouable »

(Henriot, 1989)

Devant un bon jeu, on participe, on s’engage, on s’implique personnellement, voire corporellement, ce qui décuple notre motivation.

Dans un contexte et un univers ludique, les joueurs peuvent prendre des décisions plus facilement, se montrant parfois plus inventifs et plus aventureux vis-à-vis de la prise de risques. On s’échine à trouver des solutions au problème posé, pour s’en sortir et pour gagner, mêlant innovation et solutions imaginatives qui pourront être réutilisées ailleurs, si dans notre stratégie elles s’avèrent payantes.

Le joueur est concentré sur sa tâche, sur son but, et l’apprentissage — si les problématiques sont parfaitement analysées par les créateurs — se fait en second plan, comme une trame de fond.

On teste des hypothèses qu’on crée, on échoue parfois, mais toujours en tirant des leçons pour la prochaine partie où il faudra, à nouveau, mêler stratégie et habilité.

Source photo : Solène Voegel

Le jeu permet de s’immerger dans un nouveau monde, des nouvelles règles qu’il faut comprendre et utiliser pour parvenir à ses fins.

Il force les joueurs à se concentrer, à mémoriser des informations, à raisonner de manière logique et selon les règles, il permet de développer le travail d’équipe et/ou de se retrouver seul face aux autres. En soi, il apprend aux joueurs à être flexible dans leur positionnement et adaptables aux situations qui se présentent. Différentes compétences et connaissances du joueur peuvent être mises à l’épreuve dans un nouveau contexte.

Il permet aux gens de prendre conscience de notions compliquées à aborder, censées faire « peur », dites « délicates ». Le côté didactique et ludique rassure, mais est un vecteur important de transmission de savoir. En s’amusant, on apprend.

Les sciences et les mathématiques sont des domaines propices à la création de jeu : dédramatiser par le jeu, modéliser des notions et les faire prendre en main de manière plus ou moins tangible par les joueurs, créer une expérience positive… Faire entrer le joueur dans un propos complexe, par des méthodes détournées, tout en le forçant à avoir la motivation de comprendre par lui-même le contenu. De même, simuler des problèmes de gestion, de crises qu’il faut résoudre devient facile avec le contexte ludique.

Le jeu est un outil pédagogique fort, tant par le fait qu’il est universel (et donc qu’il invite chacun à y prendre part, peu importe son statut), que par le fait qu’il induit la prise en compte de règles et de respect mutuel. Peu importe l’échelle sociale, chacun se retrouve novice en la matière et les rôles de chacun s’effacent.

Créer un jeu qui se déploie dans l’espace permet d’accentuer la participation de tous : il faut s’approprier l’espace, agir sur son quotidien de manière dynamique, afin d’en percevoir les effets de manière instantanée : le jeu donne de la prise sur le réel.

De même, selon la stratégie, il permet une sociabilisation importante et fait se rencontrer et se mobiliser des acteurs autour d’un but commun. On s’associe, on se déchire, on s’entraide ou l’on se blesse.

Le jeu doit donc être vu comme un outil pédagogique d’appropriation et d’approfondissement, où les limites et les objectifs doivent être clairement énoncés.

Les joueurs sont acteurs, ils ont un rôle, des responsabilités qui impliquent dialogue et partage. Il permet à chacun de s’exprimer, de clarifier sa pensée, d’argumenter et de justifier ses choix.

Dernier joueur, dernier tour.

On compte les points, on triche un peu, on râle tandis qu’un seul fanfaronne.

On range le plateau, on trie les cartes, on referme le couvercle.

Il nous suffit d’attendre la prochaine partie, tandis qu’inconsciemment, l’information transmise fait peu à peu son chemin.

Solène Voegel

Designer graphique chez Okon i& didacticienne

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