L’éco-responsabilité : si on en parlait ?

Okoni
9 min readApr 8, 2020

Il y a deux ans, je nageais dans les eaux turquoise de la mer des Baléares et tombais régulièrement nez à nez avec des déchets de diverse nature que je récupérais dans mon sac de plage afin de les jeter. A la fin du séjour, j’ai réalisé que mon sac était rempli de scories en tout genre : bouteilles de plastique, briquets cassés, semelles de chaussures, canettes de bière, tonnes de mégots… et même une bouteille d’huile vide en plastique périmée depuis 2008 ! C’était visiblement le résultat des folles années où la conscience écologique était presque inexistante.

A mon retour, j’ai décidé d’adopter des attitudes éco-responsables pour contribuer à la préservation de notre planète. Pour être honnête, cela n’a pas été facile. Par exemple :

· J’ai fini par abandonner le compost car je faisais face à une invasion de fourmis malicieuses dans ma cuisine.

· Il m’arrive encore d’oublier mon sac en toile pour faire les courses et d’en acheter un en plastique, qui finira dans un tiroir et que je n’utiliserai jamais (ou qui fera office de sac poubelle).

C’est pourquoi j’ai eu l’envie de lancer, lors d’un déjeuner avec mes collègues d’OKONI, une grande discussion sur l’éco-responsabilité, pour recueillir vécus et réflexions. Comment chacun vit-il l’éco-responsabilité dans son quotidien personnel ? Comment celle-ci peut-elle trouver à s’incarner dans notre travail ?

En route vers le “zéro déchet”

Solène nous a dit qu’elle n’achetait plus aucun produit ménager, et qu’elle faisait elle-même sa lessive et son assouplissant (conseil : ayez toujours du bicarbonate de soude chez vous !). Dans sa salle de bains, elle essaie d’avoir le moins d’emballages possibles en privilégiant par exemple le shampoing solide.

Certains font du compost qu’ils utilisent directement dans les bacs à plantes de leur balcon. D’autres ont pris le réflexe d’acheter le moins possible de produits emballés dans du plastique, ou de privilégier les emballages faciles à trier (carton uniquement ou plastique uniquement par exemple). D’autres encore ont repéré tous les points de récupération de piles et ampoules autour de chez eux.

Comme on pouvait s’y attendre dans une équipe qui compte une bonne proportion de designers-bricoleurs, plusieurs font eux-mêmes leurs meubles ou leurs vêtements, y compris en récupérant des chutes de matériaux dans notre petite usine du MA. Cette habitude de faire soi-même ne naît d’ailleurs pas tant d’une volonté d’améliorer son mode de consommation, que d’un plaisir supérieur à faire qu’à acheter.

L’éco-responsabilité est-elle un luxe ?

Cela fait deux ans qu’Alexandre veut s’acheter un nouveau vélo. Problème : il ne veut pas un vélo dont le cadre est en carbone, car ce n’est pas un matériau recyclable. Finalement, il a décidé de se faire fabriquer un vélo en acier par un artisan d’Ile-de-France. Un choix plus coûteux à court terme, mais qui sera largement amorti sur le long terme, car c’est un vélo qu’il pourra garder toute sa vie. Le prix de ce choix riche de sens est aussi un renoncement à la performance (le carbone est un matériau qui permet d’aller plus vite).

Selon lui, ce n’est pas l’effort qui est bloquant dans une démarche individuelle d’éco-responsabilité, car l’effort peut être rendu désirable, ce sont plutôt le savoir et les moyens.

Mais l’éco-responsabilité est-elle vraiment un luxe pour bobos ? Pas si sûr ! Le blog Famille Zéro Déchet explique que certes, reproduire à l’identique les courses que l’on fait au Monoprix dans un magasin bio revient plus cher. Mais lorsque l’on est membre d’une AMAP, pour 15 euros par semaine, on reçoit un grand panier de légumes de saison qu’il faut donc écouler… et l’on ressent moins le besoin d’aller au supermarché pour acheter d’autres choses. Luce a même vu le prix de ses courses divisé par deux depuis qu’elle les fait à la Biocoop, car elle est moins tentée d’acheter des choses dont elle n’a pas besoin que lorsqu’elle allait dans un supermarché classique.

Quels sont les gestes qui comptent vraiment ?

Le WWF Suisse a mis en ligne un calculateur d’empreinte écologique assez poussé, prenant en compte des paramètres comme la façon de consommer, de se chauffer ou de se déplacer. Quand Luce a fait le test, elle a été très surprise (et déçue), car elle avait l’impression d’en faire déjà beaucoup, mais malgré tous ses efforts son résultat était dans la moyenne (suisse) : il faudrait 2,7 planètes si tout le monde vivait comme elle. Pourquoi ? Parce que toutes ses actions visibles au quotidien (se fournir en légumes via une AMAP, consommer moins de viande et exclusivement en circuits courts, se déplacer en transports en commun ou à vélo) ne pèsent pas face à un aller-retour en avion. Les principaux postes venant grever son bilan environnemental sont les déplacements professionnels, l’eau et les produits laitiers.

Cela pose la question de ce sur quoi il importe de concentrer ses efforts en priorité : c’est bien joli de fabriquer un meuble une fois par an, mais est-ce que cela compense le fait de venir régulièrement travailler en voiture ?

Les vacances sont un point particulièrement critique de cette question des efforts prioritaires. Faut-il par exemple renoncer complètement à prendre l’avion pour ses vacances, alors qu’il est parfois moins cher d’aller en avion à l’autre bout de l’Europe qu’en train à Marseille ?

On peut par exemple choisir de partir plutôt à vélo (en évitant si possible d’acheter un vélo neuf fabriqué à Taïwan). Lorsque l’on opte pour des moyens de transport lents, le plaisir n’est plus dans la destination mais dans le voyage en soi. Ce changement de la culture du plaisir, s’il se diffusait massivement, pourrait bien changer la face du tourisme.

Quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins…

De l’habitude individuelle à la responsabilité collective

Mais faut-il culpabiliser de ses déplacements personnels, alors que ceux-ci ne sont qu’une goutte d’eau face à toutes les entreprises qui polluent sans vergogne ? Faut-il forcément renoncer en premier à ce qui nous fait le plus plaisir ?

Un choix personnel n’est jamais neutre pour les autres. Savoir que seul un petit pourcentage des habitants de la planète prend l’avion et engendre des désastres climatiques et sociaux jette un éclairage particulier sur notre responsabilité envers les autres personnes du globe. On peut même parler de « discrimination écologique » au vu de la différence d’impact des désastres écologiques sur notre vie selon l’endroit où nous nous situons dans le monde.

On peut aussi considérer que la liberté est une somme de contraintes, et pas simplement une ouverture de choix. Il n’est pas forcément négatif d’avoir des contraintes pour pouvoir jouir de sa liberté.

Il est certain que les efforts ne peuvent pas reposer exclusivement sur les individus, mais doivent notamment se diffuser à l’échelle des entreprises, et déborder de la sphère individuelle dans la sphère professionnelle. La capacité à se créer des récits porteurs a un rôle clé à jouer en la matière. Le film Demain a joué un rôle exemplaire à cet égard, en permettant une prise de conscience chez beaucoup de gens. La construction de ces récits passe par la création, plus que par l’argumentation d’homme à homme. L’éco-responsabilité est de plus en plus abordée à l’école ; sans doute en tant que professionnels avons-nous la responsabilité de l’intégrer dans notre travail et de contribuer à diffuser des manières de faire plus respectueuses de l’environnement.

Vous l’avez vu, n’est-ce pas ?

Vers un design durable ?

Le parlement a adopté récemment la loi contre le gaspillage. Cette loi fixe l’objectif de 100 % de plastique recyclé d’ici au 1er janvier 2025 et instaurera des nouvelles filières pollueur-payeur. La chasse au plastique est désormais ouverte.

En tant que designers, nous sommes en première ligne des évolutions possibles, car nous créons des objets et utilisons de la matière.

Le design est une pratique de l’art appliqué à l’industrie. Il suit les évolutions de la technique, mais les techniques n’ont jamais été aussi gourmandes en énergie. Nous n’avons pas appris à raisonner en low tech mais avec de l’injection, du thermoplastique… Certes, l’impression 3D permet de limiter le gâchis de matière, mais il s’agit encore de travailler avec du plastique (parfois additionné de kevlar).

Voici quelques questions sur la manière d’intégrer l’éco-responsabilité à notre pratique professionnelle, qui ont émergé lors de notre conversation :

  • Comment faire un prototype avec le minimum de matière, sans ajouter de lourdeur dans le processus ? Nous pouvons utiliser des chutes de production pour maquetter et nous montrer créatif dans l’utilisation des ressources dès la phase de prototypage. Néanmoins, ce qui est important n’est pas que le prototype en lui-même soit éco-conçu, mais bien le produit final. La création génère forcément du déchet : l’outil de base du designer et le croquis, et dans nos croquis, il y a 70% de déchet ! Mais si j’écris un discours pour changer le monde, il n’est pas forcément prioritaire que celui-ci soit écrit du papier recyclé. Nous consommons énormément de bâche, qui est très polluante sur l’ensemble de son cycle de vie. Comment en utiliser moins sur les expositions ?
  • Comment concilier l’exigence de rapidité et d’efficacité avec la volonté de réduire notre impact carbone en limitant nos déplacements ?
  • Comment rendre le vieillissement des matières désirable ? Vu que les matériaux que nous utilisons aujourd’hui vont forcément se désagréger dans le temps, il y a un intérêt à populariser une esthétique du wabi-sabi.
Le Kintsugi, ou la réparation à l’or : le comble du wabi-sabi

Systématiser les réflexions sur l’écodesign

Nous savons, en tant que designers, qu’un objet ou un service réussi tient compte de l’impact environnemental. On pourrait considérer le design durable comme une extension du Human-Centered Design.

Notre travail est donc de montrer à nos clients que l’éco-responsabilité est une opportunité, et d’être leurs alliés dans cette quête. Même si la réglementation commence à faire bouger les lignes, parler d’écologie renvoie à des valeurs trop personnelles pour qu’elles puissent résonner chez tous. Il faut donc trouver chez chaque client l’intérêt qu’il va avoir à intégrer l’éco-responsabilité à sa réflexion. Ainsi, bien conçu, un design éco-responsable peut être une source d’économies.

Il se trouve que lorsque nous avons eu cette conversation avec l’équipe, des personnes de 1001 Vies Habitat partageaient notre table, car ils étaient au MA pour travailler sur un projet. Ceux-ci nous ont fait part du fait qu’en tant que bailleurs sociaux, ils rencontraient eux aussi des problématiques d’intégration de l’éco-responsabilité à leur activité. Pour leurs chantiers, ils commencent à suivre une charte de réemploi de matériaux. La question de l’éducation de leurs clients (en l’occurrence, les locataires) se pose aussi pour eux, par exemple sur le tri sélectif.

Cette problématique est si vaste qu’il était évidemment impossible d’en faire le tour le temps d’un simple déjeuner, mais j’espère que ce temps d’échange aura contribué à ensemencer les esprits.

Et vous, où en êtes-vous ? Poursuivons la conversation !

  • Qu’est-ce qui vous motive à être éco-responsable ? Qu’est-ce qui vous décourage à l’être ?
  • Quelles actions menez-vous chez vous pour l’être au quotidien ?
  • Comment l’être au travail ? Comment rendre vos process plus éco-responsables ?

Belinda Deschamps

Pour aller plus loin

La loi contre le gaspillage :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/01/30/chasse-au-plastique-vente-en-vrac-le-parlement-adopte-la-loi-contre-le-gaspillage_6027824_3244.html#xtor=AL-32280270

Sur l’intérêt de faire la chasse au plastique :

https://www.ideo.com/blog/6-surprising-benefits-of-quitting-plastic

Sur la notion de liberté :

https://m.usbeketrica.com/article/dictature-verte-fausse-menace-infantilisme-individualiste

L’épisode de Xenius sur les bioplastiques compostables :

https://www.arte.tv/fr/videos/084700-031-A/xenius-les-bioplastiques-une-solution-pour-l-environnement/

Le site de Lucile Viaud, qui crée des objets en verre à partir de co-produits de la pêche (coquillages) :

http://atelierlucileviaud.com/

Des tabourets utilisant des rebuts du brassage de la bière :

https://blog-espritdesign.com/mobilier/tabouret/le-mobilier-brasse-par-franck-grossel-56119

Une belle réutilisation des déchets du BTP :

http://marbredici.org/

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Okoni

Nous sommes une équipe de création multidisciplinaire. Nous prônons pour une approche du design plus humaine, plus éthique et plus proche des gens.