Une autre démocratie participative est possible !

Okoni
4 min readJan 28, 2019

Pour une autre forme de démocratie participative

Ni grand débat, ni référendum d’initiative citoyenne, la participation citoyenne doit désormais passer par le faire

La parole seule, source de violence

La crise sociale et politique que notre pays traverse a mis avec force et colère la demande de démocratie participative sur le devant de la scène. Et comme c’était à craindre d’un sujet qui émerge dans la précipitation et la cohue, les réponses qui y sont apportées des deux côtés, gouvernement comme Gilets jaunes, sont bien médiocres et risquent une fois encore de décevoir.

Le référendum d’initiative citoyenne comme le grand débat puisent leur fondement dans l’idée que la parole est le principal biais de la participation. Il suffirait de s’exprimer pour se sentir participer. Et le rôle du politique serait d’écouter toujours, tout le temps et de répondre aux aspirations du peuple. On ouvre les cahiers de doléances, on fait des réunions, des synthèses et on répond le plus vite possible aux demandes majoritaires.

Pourtant, cette approche ne fera qu’amplifier la colère et creuser les déceptions et ce pour deux raisons. Première raison, ce mouvement n’est pas celui d’une classe mais d’une somme d’individus en difficulté. La colère les agglomère beaucoup plus que les aspirations. Les travaux de sociologie politique et de géographie sociale réalisés notamment par Hervé Le Bras et Emmanuel Todd montrent que les logiques de classe n’opèrent plus. Ce qui unit les électeurs des extrêmes est à chercher au cœur de situations de vie précises : monoparentalité, chômage des parents, éloignement des grands centres urbains, etc. La baisse des taxes, l’augmentation du pouvoir d’achat et la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne ne constituent pas un rêve ni même un programme. Deuxième raison, la parole telle qu’elle est pratiquée dans la sphère publique actuellement ne pourra que diviser. Elle est profondément violente au sens du théoricien de la communication non-violente, Marshall Rosenberg, c’est-à-dire située au rang des grandes généralités abstraites (« nous les laissés pour compte », « vous les puissants, les voleurs, les privilégiés », comme si de telles catégories cohérentes existaient en tant que telles).

L’action comme mode de participation

Alors il est désormais urgent de mettre en place des modes de participation fondés sur l’action plutôt que sur la parole, ancrés localement plutôt qu’au niveau national, modulaires, découpés plutôt que totaux, expérimentaux plutôt que définitifs. Une autre façon de faire participer les citoyens existe, nous l’appelons la fabrication citoyenne, il est temps de la déployer à grande échelle. Aux grands débats, nous préférons les petits chantiers !

Pédagogie, apprentissage, éducation

Premier pilier de la fabrication citoyenne, la pédagogie, l’apprentissage, l’éducation. Tout commence par l’élévation du niveau d’exigence à l’égard de ceux qui participent. Non, il ne suffit pas de payer des impôts pour participer à la définition de la politique fiscale de la France ou d’habiter une rue pour faire de l’urbanisme. Chaque projet de participation peut être l’occasion de faire œuvre d‘éducation populaire, de partager les expertises, de monter le niveau de conscience collective, voire même de compétences individuelles. Pourquoi ne pas utiliser un chantier de rénovation urbaine dans des quartiers frappés durement par le chômage pour former les gens aux métiers du bâtiment ? Pourquoi ne pas profiter du débat sur la fiscalité pour former les citoyens aux finances publiques ? Plutôt que des salles de débat en préfecture, ce sont des écoles de la participation citoyenne qu’il faudra ouvrir dans lesquelles de simples usagers pourront devenir de véritables citoyens agissants.

L’art et la médiation

Deuxième pilier l’art et la médiation. Il s’agit d’écouter les habitants d’un territoire par d’autres voies que les cahiers de doléances ou les enquêtes sociologiques. La médiation, c’est emprunter un chemin de traverse, choisir une position décalée et accessible pour parvenir à impliquer réellement l’usager et le mettre au centre de la démarche. La médiation c’est aussi aller au contact d’un contexte, se frotter à la réalité, ancrer des problématiques dans un territoire. Les outils mobilisés peuvent être la création plastique, théâtrale, littéraire, dans le but de récolter des données qualitatives sans adopter une posture frontale et intrusive. On pourra créer des cartes subjectives pour capter les perceptions des habitants sur leur quartier. On utilisera le théâtre forum pour recueillir les situations de violence quotidienne ou on s’adonnera à un travail d’écriture utopique pour imaginer le monde de demain… Par leurs capacités à « embarquer le citoyen », en étant inclusifs et joyeux, l’art et la médiation rendent la participation désirable pour le citoyen.

La fabrication

Troisième pilier, la fabrication. Nous pensons que le faire, le fabriquer constitue un véritable moteur de réflexion et de réalisation. Nous sommes convaincus que le passage par la fabrication et la forme ne représente pas une simple illustration des idées mais constitue un déclencheur de nouveaux processus cognitifs chez les personnes et une voie pour les embarquer dans une communauté agissante. S’engager avec ses mains permet d’accélérer l’engagement citoyen de chacun et accroît leur emprise sur le réel. La fabrication offre l’avantage de faire émerger des choses concrètes, palpables, testables. Elle permet de cristalliser les regards des parties prenantes, de provoquer les réactions, de susciter le dialogue, de tester les solutions et d’expérimenter sur le terrain. Les projets doivent donc être dimensionnés et organisés afin de laisser des marges dans lesquelles les citoyens peuvent agir directement jusqu’à la fabrication.

Il n’est pas trop tard pour changer de méthode. Des exemples fourmillent partout sur le territoire. Il faut les médiatiser, les amplifier, les professionnaliser. Cela passe également par un changement culturel plus profond chez nos dirigeants politiques nationaux afin qu’à tout ce qui est grand, débats, idéologies, stratégies, plans, passions, politiques, ils préfèrent le faire, l’expérimental, le différencié, le modulaire, le local. C’est au début de la tempête qu’il faut changer de route.

Pierre Baudry

Associé fondateur de l’agence de design et d’innovation, Okoni

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Nous sommes une équipe de création multidisciplinaire. Nous prônons pour une approche du design plus humaine, plus éthique et plus proche des gens.